Pneumologue au CHU de Brest, Irène Frachon est le premier médecin a avoir établi un lien direct entre la mort de nombreux patients et la prise du Mediator.
On la surnomme l'Erin Brockovich française. Irène Frachon, 54 ans, s'est fait connaître en 2010 avec un livre choc, Mediator, combien de morts ?, dans lequel elle pointait du doigt la responsabilité des laboratoires Servier dans le scandale du Mediator, un médicament qui aurait provoqué la mort de près de 2000 patients.
Sens du devoir
Née le 26 mars 1963 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), Irène Frachon est la petite-fille de l’amiral Hubert Meyer, acteur de la libération de La Rochelle et de Royan lors de la Seconde Guerre mondiale, et de Jacques Allier, un banquier qui participa, en 1940, à la «bataille de l'eau lourde» aux côtés du ministre Raoul Dautry. Elle passera son enfance dans la foi protestante et entourée de ces deux grands-pères, modèles pour sa vie future.
«Je ne serais pas arrivée là si l’exemple d’Albert Schweitzer n’avait pas éveillé ma vocation médicale, si mon éducation protestante n’avait pas éveillé l’attention que je dois porter à mon prochain, et si mes deux grands-pères n’avaient pas éveillé mon sens du devoir. Pendant la guerre, ils ont tous deux fait ce qu’ils avaient à faire, à leurs risques et périls. Voilà mes fondamentaux», expliquait-elle dans une interview accordée au Monde en 2016.
Tournure inattendue
Elle obtient son diplôme de docteure en médecine en 1988 et choisit de se spécialiser en pneumologie. D'abord en internat à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, puis à l’hôpital Foch de Suresnes. En 1996, elle s’installe à Brest et devient pneumologue au CHU de la ville. Ce n'est que quelques années plus tard, en 2007, que la vie de cette mère de quatre enfants va prendre une tournure inattendue.
Après un appel d'une collègue concernant une patiente diabétique atteinte de lésions valvulaires, elle va se lancer dans des recherches approfondies et trouver un lien entre ces problèmes de santé et la prise du Mediator, un médicament destiné à l'origine aux diabétiques en surpoids et rapidement prescrit aussi comme coupe-faim aux personnes désirant perdre du poids.
Son combat, elle le mènera pendant près de deux ans et réussira finalement à faire interdire le Mediator en 2009. Mais le peu de reconnaissance accordée aux victimes la poussera l'année suivante à écrire le livre Mediator, combien de morts ?, mettant en cause directement les laboratoires Servier et son président, Jacques Servier, qui commercialisaient le médicament. Un livre et un constat alarmants rapidement relayés par les médias. Un écho qui poussera même l’industriel à demander le retrait du sous-titre, «combien de morts ?».
En novembre 2010, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) confirme de son côté officiellement la mort de 500 patients due au Mediator. Un bilan qui grimpera ensuite à près de 2000 victimes. Sa responsabilité dans l'affaire, le pharmacien la niera pourtant jusqu'à sa mort. Son décès en avril 2014 n'empêchera toutefois pas l'enquête de continuer. «Jacques Servier ne sera jamais condamné, mais ses sociétés, qui portent son nom, oui», assurait-elle au Figaro au lendemain de son décès. Entre la reconnaissance des faits et l'indemnisation des victimes, l'affaire est loin d'être close.
Une vie sur grand écran
En attendant, la lanceuse d'alerte a réussi à profondément marquer les esprits. Notamment celui de la cinéaste Emmanuelle Bercot, qui a réalisé en 2016 La Fille de Brest, un portrait consacré à ce médecin pas comme les autres. «Irène Frachon, c’est un peu notre Erin Brockovich. C’est une personne ordinaire à qui il est arrivé un truc extraordinaire», nous expliquait la cinéaste en novembre 2016.
Pas question pour autant pour la pneumologue de s'enthousiasmer. «Je ne suis pas une héroïne. Et je ne me suis pas levée un matin en me disant que j’allais changer le monde. J’ai juste agi comme un médecin, confrontée à un truc tellement énorme qu’il était impossible de se taire», commentait-elle auprès de La Croix en 2015. D'autant plus que son combat n'est pas encore terminé. Le procès du Mediator devrait avoir lieu d'ici fin 2018. Une audience pendant laquelle elle devrait à nouveau se faire entendre.